Séjour à Masanga en Janvier 2019
Séjour à Masanga en janvier 2019
Voyage à trois cette fois-ci car Véronique qui contrôle les comptes de l’association nous a accompagnés, Renata et moi. C’est important que les gens viennent sur place et se rendent compte de la situation sur place, du travail effectué et des difficultés, surtout à compter les millions de Leones en petites coupures. Pour 5'000 Euro on n’en a un sac à dos plein !
Ce séjour fut empreint de beaucoup d’émotion suite à la maladie incurable de notre cher Tolo, coordinateur de notre programme et personne de toute confiance. Il va laisser une jeune femme adorable, 2 enfants aux études et une petite fille de 4 ans qui adore son papa. Il vient de terminer la maison de ses rêves et ne pourra même pas en profiter. Renata et moi lui avons offert le solaire, pour l’aider à terminer son rêve avant son départ, et Dany sa chambre à coucher.
A part toute la tristesse personnelle de perdre un peu un fils, comment organiser son départ de notre association avec lui qui connait TOUT ! Il a toutes les informations et adresses. Pas facile de lui demander le double des clés, le code de son ordinateur, les contacts et numéros de téléphone divers sans que ça semble lui annoncer qu’il doit nous remettre le tout car il va mourir. Tout ça reste sous-entendu car tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir mais avec Renata on sait bien que c’est perdu. Nous nous sommes retrouvés plusieurs fois en larmes tous les trois.
Je ne peux pas ne pas raconter combien il ne fait pas bon être malade en Sierra Leone. J’ai eu en novembre la pire expérience de ma vie dans ce domaine. Partis avec Tolo à l’hôpital gouvernemental pour faire une biopsie de foie avec une lettre de recommandation de son médecin traitant nous avons été reçus comme des chiens et encore, je pense que les animaux sont bien mieux traités chez nous ! Arrivés à 7 h du matin, après une nuit dans une pension bruyante et sale, un gardien bien vaniteux, nous a dit qu’on devrait savoir que le lundi c’est jour de colloques et que les médecins ne sont pas disponibles avant 10h. Nous avons attendu de longues heures sur des banquettes en bois au milieu de malades couchés par terre et d’autres toussant et crachant autour de nous. Je me suis faite plein de mantras et de cercles de protections. A midi passé le gardien nous a demandé la lettre et est revenus 2 minutes après en nous informant que le médecin que nous devions voir mangeait et que nous devions revenir le mercredi. Dégoutée et à quelques secondes d’exploser et de faire un scandale, j’ai emmené Tolo à la plage deux jours afin de nous ressourcer.
Le pire arrive le mercredi matin. Nous sommes reçus par une femme affalée sur une table faisant office de bureau, pleine de papiers et de dossiers ainsi qu’une feuille à moitié chiffonnée sur laquelle était écris des noms. Nous lui montrons la lettre de recommandation et elle nous répond qu’il y a déjà 35 patients qui attendent et qu’il nous faudra revenir le mercredi suivant. Elle ajoute qu’il faut venir vers 2-3h du matin pour faire la queue ! J’ai les tours qui sont montés ! " Alors là vous allez voir comment je m’appelle ! Vous pensez vraiment que je vais venir dormir devant votre porte à 2 h du matin ? Nous ne partirons pas de là sans voir le médecin sinon ça va chauffer ! " Tout ça dans mon anglais africanisé. Elle n’en a eu rien à faire. Après 3 h d’attente un homme magnifique m’est apparu. On aurait dit Jésus ! Je me suis approche de lui en lui demandant de l’aide. Après lui avoir raconté notre histoire il nous a accompagnés vers la dame en lui ordonnant de nous faire voir le médecin dès qu’il arriverait. A 13h, enfin, c’est notre tour. Nous entrons dans une salle qui ne doit pas avoir plus de 2 x 3 mètres dans lequel il y a une table, 2 chaises, un petit lit et un écran pour regarder les radio graphies.
Je rentre avec Tolo. Il y a le médecin et 4 assistants.
Le médecin : vous êtes là pourquoi ?
Comme il n’y a qu’une chaise je dis à Tolo de s’asseoir.
Tolo tend la lettre de recommandation au médecin qu’il regarde à peine et la repose.
Le médecin : on ne vous a pas dit que vous avez les yeux jaunes ?
On se regarde avec Tolo. NON et il ne les a pas jaunes du reste.
Le médecin : on ne vous a pas dit que vous avez une mauvaise haleine ?
On se regarde une nouvelle fois. NON et il n’a jamais eu de mauvaise haleine.
Le médecin pose quelques autres questions et demande à un assistant de mettre les radios sur l’écran. Ce dernier les retourne dans tous les sens en ne sachant même pas de quel côté est le foie.
Je regarde le médecin en disant que même moi qui ne suis pas médecin je pourrais les mettre du bon côté sachant que le foie se trouve à droite !
Le médecin se lève, place les RX correctement et commence à montrer à ses assistants toutes les métastases qu’il voit. Ici et ici et là sans faire cas de notre présence et de ce que le patient reçoit en pleine figure.
Le médecin à Tolo : déshabiller-vous. Et devant le regard de Tolo qui est sans voix, oui enlever le haut, ouvrez votre pantalon et coucher-vous.
A un assistant : palpez-lui le ventre. Et comme l’assistant n’en est pas capable à part quelques contacts très timides, il se lève et commence à palper Tolo en expliquant à ses assistants :
Le foie est bien trop gros et dur et … en créole que je comprends à moitié, c’est trop avancés pour que les médicaments fassent effets donc il faut essayer en mettant un cathéter dans la veine en injectant un produit et si ça ne fonctionne pas il reste la greffe de foie mais ça ne se fait pas dans nos pays.
A Tolo : rhabillez-vous ! Ce qu’il fait er se rasseye.
Le médecin : je peux vous hospitaliser maintenant.
On se regarde avec Tolo et en voyant que nous restons sans voix et hésitant il nous dit que nous pouvons aussi revenir lundi et il se lève en répondant au téléphone et je le voit prêt à sortir.
Je l’arrête et lui demande :
En fait vous proposez une chimiothérapie ? OUI !
Et pour la biopsie demandée par son médecin ? Pas nécessaire et inutile ! Mais si vous voulez dépensez de l’argent on peut toujours la faire.
Et à quel stade est son cancer de 1 à 4 ? 4 !
Et il s’en va. Je demande à Tolo s’il va revenir. NON !
Je prends Tolo par la main et nous sortant de cet enfer. Les larmes coulent. Nous reprenons la route pour Masanga, 5h de route sans un mot.
Le lendemain nous décidons de ne plus retourner dans cet hôpital ni auprès de ce médecin, si on peut appeler ça un médecin ! Le problème c’est le seul en Sierra Leone qui fait les biopsies !!!
Notre ami Harald, nous met en contact avec une de ses collaboratrices qui a envoyé sa maman se faire opérer d’un rein au Ghana. Là-bas il y a de compétences et plus d’humanité.
Et c’est parti. Nous faisons faire un passeport à Fatmata, l’épouse de Tolo, prenons les billets d’avion et via. Le Sweden Ghana Hospital est spécialisé en oncologie. Ils vont les chercher à l’aéroport, leur donne un petit logement et s’occupent d’eux avec respect. OUF ! Quel soulagement !
Malheureusement le diagnostic est confirmé. Il est trop tard pour faire des thérapies lourdes ou de nouvelles générations mais il va pouvoir recevoir les médicaments palliatifs appropriés qui sont introuvables en Sierra Leone.
Comme nous devions tout de même penser au futur de notre association, nous avons créé une association locale Masanga MEA avec 7 membres dont la majorité est faite de nos grands élèves. Abu Turay actuellement à l’école de médecine, section épidémiologie, Alie Tholley, infirmier et maintenant à l’école de médecine pour devenir médecin assistant, Aminata Conteh, enseignante dans notre école, Fatmata Unissa Bangura, infirmière et futur médecin assistante en formation, Aminata Bangura, infirmière diplômée ainsi que le directeur de l’école secondaire junior de Masanga et notre cher Tolo comme président jusqu’à ce qu’il puisse. Il nous était impensable de l’en exclure.
Cette association à été enregistrée auprès de Social Welfare (protection sociale, de la condition féminine et de l’enfance) ainsi qu’au Conseil approprié.
La base des statuts est plus ou moins la même qu’en Suisse, dont le but principale est la lutte contre l’excision des petites filles. Nous y avons ajoute un article protégeant tout le site MEA à Masanga. Il comprend 2 bâtiments scolaires, un réfectoire, une cuisine, une maison d’hôtes et une maison pour les gardiens.
Un compte bancaire a été créé afin de l’approvisionner pour les salaires et aides alimentaires. C’est un bon début. Comme je prends de l’âge, il faudra bien qu’un jour le programme devienne totalement autonome.
Renata et Véronique sont allées visiter nos élèves à l’école SDA du village. Elles y ont trouvés 80 élèves en 3ème année primaire.
Comme nous n'avons que les 3 premiers niveaux primaires dans notre école, les enfants rejoignent l'école du gouvernement pour les 4èmes, 5èmes et 6ème années. Ceci veut dire qu'à la rentrée de septembre 2019 nos 20 élèves actuellement en 3ème année vont se retrouver avec les 80 autres en 4ème !!! Ça ne nous semble pas faisable !
Nous allons essayer de monter une classe d'urgence et ça va être l’occasion, pour le comité mis en place, de se débrouiller. Je leur ai proposé de chercher un enseignant payé pendant une année par les familles. Ça sera intéressant de voir ce qu’il en ressort.
La construction de 3 nouvelles classes est prévue pour janvier 2020. Nous aurons alors tous les niveaux, enfantine et primaire.
Nous recherchons des fonds et des personnes ayant envie de se joindre à la construction en janvier et février.
Nous avons vu pratiquement toutes les filles en secondaire. Elles sont avisées qu’elles devront poursuivre leurs études dans les écoles agréées par MEA. Il ne nous est plus possible de courir dans des dizaines d’écoles de par le district. Nous estimons que les filles ayant reçu leur certificat de fin d’études secondaires, après 3 ans en juniors et 3 ans en senior, devraient être capable de se débrouiller dans la vie en trouvant un métier convenable. Seules les filles ayant un parcours scolaire exemplaire pourront avoir accès au collège ou à l’université.
Nous avons aussi abordés le problème de la santé. Qui paye les factures médicales ? Réponse : Michèle (pour MEA). Pourquoi les enfants sont malades ? Réponse : Par manque de propreté et d’hygiène.
Et bien depuis ce jour et jusqu’à nouvel avis nous ne payerons plus les frais médicaux. Silence !
Daniel avait organisé le nettoyage de Masanga en achetant tout le matériel nécessaire mais ça n’a duré que quelques mois. Alors tant pis pour vous.
Tolo et Fatmata nous ont raccompagnés à l’aéroport le 19 janvier. C’est sans doute la dernière fois que nous l’avons vu. Je lui ai mis autour du coup mon pendentif énergétique en lui disant que je n’avais pas de mot mais que mon cœur est toujours avec lui.
Merci à vous tous pour votre précieux soutien,
Michèle